Je constate régulièrement dans ma pratique que la question du montant d’indemnisation suite à une faute inexcusable de l’employeur génère beaucoup d’interrogations. Lorsqu’un accident du travail ou une maladie professionnelle survient, les conséquences peuvent être dévastatrices pour les salariés. Au-delà de l’indemnisation forfaitaire prévue par le régime général de la sécurité sociale, une réparation complémentaire existe quand l’employeur a commis une faute inexcusable. Étant spécialiste dans ce domaine, je vous propose d’étudier les mécanismes d’indemnisation et les droits dont vous disposez avec mon expérience de victime.
Sommaire
Qu’est-ce que la faute inexcusable de l’employeur : définition et critères
Définition juridique de la faute inexcusable
La faute inexcusable constitue un manquement particulièrement grave à l’obligation de sécurité et de protection incombant à tout employeur. Selon la jurisprudence établie par la Cour de cassation dans ses célèbres arrêts « amiante » du 28 février 2002, cette faute est caractérisée lorsque « l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver« . Cette définition a considérablement élargi le champ d’application de cette notion au bénéfice des victimes.
Conditions nécessaires à la reconnaissance d’une faute inexcusable
Pour que vous puissiez obtenir la reconnaissance d’une faute inexcusable, trois conditions cumulatives doivent être réunies :
- L’existence objective d’un danger dans l’environnement professionnel
- La conscience de ce danger par l’employeur, ou le fait qu’il aurait dû en avoir conscience
- L’absence de mesures de prévention ou de protection suffisantes pour préserver la santé et la sécurité des salariés
Je constate souvent que la preuve de ces éléments peut s’appuyer sur des documents comme le document unique d’évaluation des risques professionnels, les alertes émises par la médecine du travail ou les représentants du personnel.
Distinction entre faute inexcusable et autres types de fautes
Il convient de différencier la faute inexcusable des autres catégories de fautes en droit du travail. Contrairement à la faute intentionnelle qui suppose une volonté délibérée de nuire, la faute inexcusable relève davantage de la négligence grave ou de l’imprudence caractérisée. Elle se distingue également de la simple faute de négligence par son caractère d’exceptionnelle gravité. Cette distinction est cruciale car les conséquences en termes d’indemnisation varient considérablement selon la qualification retenue.
Calcul de l’indemnisation : majoration de la rente et barèmes
Principe de majoration de la rente d’incapacité permanente
L’un des effets principaux de la reconnaissance d’une faute inexcusable est la majoration substantielle de la rente versée à la victime en cas d’incapacité permanente. Je vous explique le mécanisme :
- Sans faute inexcusable, la rente est calculée selon la formule : Salaire annuel × (taux d’incapacité ÷ 2)
- Avec faute inexcusable reconnue, le calcul devient : Salaire annuel × taux d’incapacité
Prenons un exemple concret : pour un salarié avec un salaire annuel de 35 000 € et un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de 30%, la rente normale serait de 5 250 € par an, mais en cas de faute inexcusable, elle atteindrait 10 500 € par an, soit exactement le double.
Barèmes d’indemnisation des préjudices complémentaires
Les barèmes d’indemnisation pour les préjudices comme le pretium doloris (souffrances endurées) et le préjudice esthétique sont généralement évalués sur une échelle de gravité allant de 1 à 7. Voici un tableau indicatif des montants habituellement accordés :
| Niveau de gravité | Qualification | Fourchette d’indemnisation |
|---|---|---|
| 1/7 | Très léger | Jusqu’à 1 500 € |
| 2/7 | Léger | 1 500 à 3 000 € |
| 3/7 | Modéré | 3 000 à 6 000 € |
| 4/7 | Moyen | 6 000 à 10 000 € |
| 5/7 | Assez important | 10 000 à 22 000 € |
| 6/7 | Important | 22 000 à 35 000 € |
| 7/7 | Très important | 35 000 € et plus |
Indemnisation selon le taux d’AIPP
L’Atteinte à l’Intégrité Physique et Psychique (AIPP) constitue un élément déterminant dans le calcul de l’indemnisation. En analysant diverses décisions de justice, j’observe que les montants moyens accordés varient considérablement selon le pourcentage d’AIPP :
- Pour un taux de 15% : entre 10 000 et 25 000 €
- Pour un taux de 25% : entre 20 000 et 40 000 €
- Pour un taux de 50% : entre 100 000 et 150 000 €
- Pour un taux de 80% : entre 240 000 et 320 000 €
Ces montants s’ajoutent à la majoration de rente évoquée précédemment, formant ainsi une indemnisation globale significativement plus importante.
Préjudices indemnisables suite à une faute inexcusable
Préjudices prévus par le Code de la sécurité sociale
L’article L.452-3 du Code de la sécurité sociale liste explicitement plusieurs préjudices pouvant faire l’objet d’une indemnisation complémentaire. Je remarque que ces préjudices sont souvent méconnus des victimes, alors qu’ils peuvent substantiellement augmenter le montant de l’indemnisation :
- Les souffrances physiques et morales endurées avant consolidation de l’état de santé
- Le préjudice esthétique (cicatrices, déformations, etc.)
- Le préjudice d’agrément qui concerne l’impossibilité de pratiquer des activités sportives ou de loisirs
- La perte de chance de promotion professionnelle due aux séquelles
Extension des préjudices réparables suite à la décision du Conseil constitutionnel
Une avancée majeure pour les droits des victimes est intervenue avec la décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 (n° 2010-8 QPC). Cette décision a considérablement élargi le champ des préjudices indemnisables. Désormais, vous pouvez également réclamer réparation pour :
Le déficit fonctionnel permanent, dont l’indemnisation a été confirmée par l’important arrêt de l’Assemblée plénière du 20 janvier 2023. J’observe que cette évolution jurisprudentielle ouvre droit à des indemnisations pour les frais d’aménagement du véhicule ou du logement, l’assistance d’une tierce personne, et même le préjudice sexuel quand la situation le justifie.
Évaluation et montants moyens accordés
Dans ma pratique, je constate que les juges accordent des montants variables selon la nature et l’étendue des préjudices. Pour le déficit fonctionnel temporaire, l’indemnisation se situe généralement entre 500 et 900 € par mois d’incapacité. Le préjudice d’agrément est habituellement évalué entre 1 500 et 5 000 €, tandis que le préjudice sexuel peut atteindre 15 000 €. Pour l’assistance d’une tierce personne, les tribunaux retiennent souvent un taux horaire de 15 à 20 €, multiplié par le nombre d’heures nécessaires et la durée prévisible du besoin.
Procédure pour obtenir l’indemnisation d’une faute inexcusable
Qui peut engager une action et délais légaux
Plusieurs catégories de personnes peuvent initier une procédure en reconnaissance de faute inexcusable :
- La victime directe d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle
- Les ayants droit en cas de décès de la victime
Je tiens à souligner l’importance capitale du respect des délais de prescription. L’action doit être engagée dans un délai de deux ans à compter de différents points de départ selon les situations : date de l’accident, clôture de l’enquête éventuelle, fin du versement des indemnités journalières, ou première constatation médicale pour les maladies professionnelles.
Étapes de la procédure d’indemnisation
La procédure se déroule généralement en deux phases distinctes que j’accompagne régulièrement :
- La phase amiable : Elle se déroule devant la commission de recours amiable qui recherche un accord entre vous (la victime), la caisse d’assurance maladie et l’employeur.
- La phase contentieuse : En l’absence d’accord, vous devrez saisir le tribunal judiciaire. Une expertise médicale sera souvent ordonnée pour évaluer précisément vos préjudices.
Une fois la décision rendue, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie avance l’intégralité des sommes qui vous sont allouées, puis se retourne vers l’employeur pour en obtenir le remboursement.
Rôle des représentants du personnel et présomption de faute
Je constate dans ma pratique que l’intervention des représentants du personnel, notamment du Comité Social et Économique (CSE), peut considérablement faciliter la reconnaissance d’une faute inexcusable. En conséquence, l’article L.4131-4 du Code du travail établit une présomption légale de faute inexcusable lorsque « le travailleur ou un représentant du personnel au CSE a signalé à l’employeur le risque qui s’est matérialisé« .
Une présomption similaire existe pour les salariés en contrat à durée déterminée, les intérimaires ou les stagiaires affectés à des postes à risque sans avoir bénéficié de la formation renforcée à la sécurité, conformément aux articles L.4154-2 et L.4154-3 du Code du travail.
