Le partage du plaisir

Un pèlerinage en quête de plaisirs partagés.

(Texte non genré, je parle de l’humain en général. Il se lit au féminin comme au masculin)

« Crois-moi, il ne faut pas hâter le terme de la volupté mais y arriver insensiblement après des retards qui la diffèrent. » 

Ovide – L’Art d’aimer

Plaisir et partage

Il y a le plaisir que nous invoquons pour nommer la volupté et l’acmé sexuel précédant l’orgasme. Et puis il y a tous les plaisirs des sens aux variations infinies. Il y a l‘échappée triste solitaire des célibataires et celle des abandonnés. Il y a les routards du plaisir et les ascètes en jubilation corporelle. Là où le savant parle d’hyperhédoniste-hypersexuel (très porté sur le plaisir-le sexe) ou d’hypohédoniste-hyposexuel (peu porté sur le plaisir-le sexe), trivialement j’y vois des coquins joueurs gourmands ou des passants sobres anesthésiés au fil d’une vie unique et courte.

Le plaisir en amour est un voyage qui étire ses racines dans des fantaisies oniriques. Point de cette quête si l’être est vide d’imaginaire érotique, vide de fantasme, vide du sens à donner à sa pulsion de vie et vide d’une place en soi pour les recevoir.

L’idée de partage amène l’indispensable présence d’un autre. Sans celui-ci, la progression est rude, laborieuse, pénible sur le chemin des jouissances. Il est le bâton du pèlerin qui aide à la marche et conte la voix du jouir. Il est intrinsèquement l’initiateur, le moyen et le but du chemin.

L’envie de partage associée à l’envie de plaisir se conjuguent d’abord avec les verbes : donner, accueillir, s’émouvoir, respecter, jouir et faire jouir. C’est une complicité, une confiance autorisant le lâcher-prise. C’est aussi une communication non-violente abaissant toutes les tensions. C’est l’intimité de l’être mise à nue puis offerte dans son entièreté durant l’orgasme.

Voyage

Le cheminement n’est pas toujours aisé. De nombreuses difficultés peuvent venir entraver la marche du pèlerin, qui visent, ciblent, blessent son corps, son âme, son histoire, son enfance, son présent au sein du monde. Souvent des identités en soi prennent trop de place comme la parentalité. Souvent encore la vie conjugale s’étire dans le temps et sans renouvellement en surprises quotidiennes ou en séduction, elle s’ennuie. Quelque fois le sociétal grippe de ses gros doigts les rouages de l’amour. D’autres-fois encore, une partie de soi porte une pathologie ou des traces traumatiques, ou bien encore des fantômes transgénérationnels pesant de tout leur poids sur le présent. Le voyage n’est plus ralenti, il est stoppé. L’imaginaire érotique est érodé, voire effacé.

couple

L’être redevient ce petit poucet des contes enfantins, égaré. Il a pourtant semé mais s’est perdu dans le bois sombre de l’absence de temps pour soi. Perdu dans les méandres et le labyrinthe de ses pensées, il a oublié le lieu du jouir. Ses sens s’excitent toujours au détour d’une fougère au port altier, d’un parfum d’humus entêtant ou au frottement d’une écorce rugueuse. Mais il n’entend plus le bouillonnement lumineux de la mare sauvage où les animaux se ressourcent. Le petit poucet pense trop, il n’est plus dans son corps.

Quand le chemin stagne, se fixe sur une identité (parentale ou professionnelle le plus souvent), est bloqué ou qu’on en a perdu la trace (manque d’attention à l’autre), qu’il y a moins de fluidité et de spontanéité sur la route du plaisir, c’est qu’il y a perte du lien. Le couple est en danger.

Peuvent se greffer dès lors dans sa dynamique : de la rancœur, de la tristesse, des conflits, de l’impuissance (pour les deux), de la méchanceté car Le plaisir tout comme la sexualité est pulsion de vie. En faire le deuil c’est s’assombrir, c’est mourir un peu.

Quels plaisirs

Pour le pèlerin et son précieux compagnon, tout périple est félicité. La route du plaisir partagé commence par la rencontre en mots, la communication. Elle peut suivre le fil des émotions et devenir tendresse. Les sens toujours en alerte sont vite friands de diverses délectations chacun à sa mesure. Cinq sens qui sont de puissants vecteurs de satisfaction en sensualité. Puis un sens ou deux, voire trois même, servent de mise en bouche à l’érotique. Le désir s’éveille. Il est stimulé chez l’autre. L’animal humain excité ouvre son écorce aux flux de vie, le sexuel peut ruisseler de l’un à l’autre.

A chaque moment, chaque étape, il est autorisé une pause, un arrêt, le repos ou une autre voie. A tout instant chacun est (doit être) libre de dire « non ! » Ou « merci ». Ou « plus tard, là je suis bien ». Ou bien « encore, recommence » … Et cela se vit sans risque pour le couple puisque le chemin a été hier, et le sera demain, nourrit des autres étapes.

La nourriture est toujours celle des sens étayés par l’imaginaire. Leur extase peut faire réponse à un simple toucher furtif autant qu’à une parole évocatrice, susurrée langoureusement, ou bien à des regards s’enlaçant inlassablement. Aussi faut-il en parlant des plaisirs (hors autocentrés-autoérotiques) s’accorder sur leur polysémie (plusieurs significations) car ils sont polyglottes, polyvalents, simples, complexes, subtils, puissants, voluptueux, orgastiques, extatiques, libérateurs, relaxants, apaisants, « déconflictuels. »  Et si par malheur l’envers vient, leurs opposés s’installent, c’est que l’amour est devenu superficiel ou que les poids de la charge mentale sont trop lourds attisant les feux de l’attention loin du partage du plaisir.

Importance alors d’être attentif aux sens dominants chez l’autre afin d’y communiquer son amour, ses fantasmes et son désir :

C’est la parole, le verbe et l’ouïe, alors parlons, choisissons les mots et le ton pour les dire, partageons les livres, les imaginaires contés, les sons, les musiques et les concerts. 

Ce sont les effluves, les parfums et les odeurs, alors plongeons dans les essences du monde, forestières, marines, chaleureuses ou rafraichissantes. 

Ce sont les saveurs, les goûts et sensations buccales, alors permettons au palais, aux lèvres et à la bavarde de s’enivrer, de déguster. 

Ce sont les visions, les images et les rêves, alors immergeons nous en cinéma, en théâtre, en art exposé ou créé. Faisons corps avec le cosmos en se fondant dans les cieux.

Ce sont les touchers, caresses et déplacements de corps, alors massons nous, enlaçons-nous tendrement et sensuellement, dansons, bougeons dans l’espace, dans l’urbain et dans la nature. Laissons nos corps se rencontrer. Acceptons les tentations tantriques à retrouver l’harmonie de nos corps délaissés.

Le pèlerinage sur le chemin du plaisir partagé est une maïeutique (mise au monde) de l’être aimant en soi. Sans amour déchainé, libéré de ses carcans, pas de joies à partager, pas de jouissance à accueillir. 

A chacun donc de se saisir amoureusement de son bâton (de pèlerin = l’autre) et de parcourir le sentier lumineux du plaisir partagé.